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04.07.2022

L'obligation pour le tribunal d’exiger des informations des parties et le droit d'être entendu dans la procédure civile allemande

A la suite de mon article "L'audience dans un procès civil - différences procédurales entre l'Allemagne et la France", je souhaiterais cette fois-ci aborder un aspect qui joue un rôle essentiel dans le droit procédural allemand. Celui-ci concerne une obligation particulière du juge dans la conduite de l’instance.

Il s’agit de l'obligation pour le juge d'exiger des informationsi auprès des parties, qui est régie par l’article 139 ZPO (code de procédure civile allemand) :

(1) Le tribunal doit, si nécessaire, débattre avec les parties de l'état de fait et de droit du litige et leur poser des questions. Il doit ainsi faire en sorte que les parties s'expliquent en temps utile et de manière complète sur tous les faits importants, en particulier qu'elles complètent les informations insuffisantes sur les faits invoqués, qu'elles désignent leurs moyens de preuve et présentent leurs demandes pertinentes. (...)

(2. Sauf s'il s'agit d'une demande accessoire, le juge ne peut fonder sa décision sur un élément qu'une partie a manifestement occulté ou considéré comme non significatif, que s'il l'a notifié à cette partie et lui a donné l'occasion de s'exprimer à ce sujet. Il en va de même pour un élément sur lequel le tribunal a une appréciation différente de celle des deux parties.

(3) La juridiction doit attirer l'attention sur les doutes qui subsistent relatifs aux éléments à considérer d'office.

(4) Les notifications devant être données aux termes du présent article doivent l’être le plus tôt possible et être consignées dans le dossier. Leur délivrance ne peut être prouvée que par le contenu du dossier. (...)

(5) Si une partie est dans l'impossibilité de fournir immédiatement des explications sur une notification du tribunal, le Tribunal détermine, à sa demande, un délai dans lequel elle peut y procéder par écrit.

Certes, il appartient aux parties de présenter elles-mêmes les éléments du litige, qui ne sont donc pas déterminés de manière autonome par le tribunal. Toutefois, l'article 139 ZPO prescrit une obligation que le tribunal doit respecter afin de garantir un procès équitable et le droit d'être entendu pour les parties. L'objectif est d'éviter les décisions pouvant constituer une surprise pour les parties.

Les notifications judiciaires doivent non seulement être complètes et fournies en temps utile, mais elles doivent permettre également d'identifier précisément les éclaircissements, preuves ou déclarations que le tribunal estime encore nécessaires. Toute partie peut s'attendre à recevoir en temps utile ce type de demande de la part du tribunal. Le fait qu'une partie soit représentée par un avocat n'y change rien.

Une telle notification judiciaire ne remplit toutefois son office que si la partie dispose ensuite de la possibilité de compléter son argumentation en répondant à la demande du tribunal. C'est pourquoi l'article 139, para. 4, ZPO prévoit que les demandes judiciaires doivent être communiquées le plus tôt possible et être portées au dossier. Si une demande n'est transmise par le tribunal qu'au cours de l'audience, il convient d'accorder à la partie un délai pour pouvoir répliquer par voie de conclusions ou bien, le cas échéant, de convenir d’une nouvelle audience. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut et doit éviter les décisions pouvant constituer une surprise.

J'avais déjà indiqué dans mon précédent article que lors de l’audience, le tribunal et les avocats débattent très longuement des faits et des aspects de droit, contrairement à ce qui se passe en France.

En pratique, il arrive régulièrement que dans le cadre d'une telle discussion tripartite lors de l’audience, le tribunal attire l'attention sur un aspect de fait ou de droit auquel une des parties ne s'attendait pas et ne pouvait pas s'attendre au vu de des faits et des éléments de droit présentés jusqu'alors. Dans ce cas, le tribunal doit donner à la partie concernée la possibilité de répliquer (droit d'être entendu). Si la partie concernée n’est pas en mesure de le faire immédiatement, le tribunal doit lui donner l'occasion de répliquer par voie de conclusions.

Toutefois, théorie et pratique constituent deux choses différentes. J'ai très souvent constaté - et peux toujours le faire - que le tribunal n’adresse pas de telles demandes formelles avant l'audience, bien qu'il en ait la possibilité. Le tribunal n’y procède que lors de l’audience. Lorsque je fais valoir que la demande du tribunal est surprenante et qu'elle aurait pu être transmise avant l'audience, les juges réagissent généralement en se montrant offusqués, voire offensés. On me répond alors que j'étais en mesure de le deviner, aurais dû le savoir ou que le tribunal n'est pas là pour conduire le procès pour moi. Mais il s’agit là de subterfuges du tribunal pour tenter de dissimuler ses propres manquements. Dans ce cas, je demande généralement que la remarque du tribunal soit consignée au procès-verbal et sollicite également un délai pour conclure sur le point soulevé. Le tribunal sait alors qu'en cas d'appel, je soulèverai un vice de procédure concernant le non-respect du devoir d’information du juge et ainsi du droit à pouvoir répliquer. Pour résumer : Une violation du devoir d'information et du droit d'être entendu est considérée par les cours fédérales de dernier ressort, comme un motif de cassation entraînant un renvoi du litige et un nouveau procès.

En ma qualité d'avocat, je m'attache bien entendu à présenter mes arguments de manière aussi étayée et complète que possible. Il va de soi que je réfléchis aux considérations de fait et de droit qui pourraient être décisives dans le litige. Il peut toutefois arriver que le tribunal fasse part d’une réflexion que je n’avais pas anticipée. J'attends alors qu'on me le dise pour me permettre de répliquer.

Gerhard Greiner
Rechtsanwalt/Avocat

i Il s’agit d‘une demande formelle que le tribunal est tenu d’adresser aux parties si les conditions de l’article 139 ZPO sont réunies.